Bab L'Bluz : Quand le Maroc devient rock
D’abord bien enraciné dans la tradition, Bab L’Bluz désire plus que jamais propager un message d’ouverture avec sa musique.
Yousra Mansour est marocaine. Malgré l'opprobre, elle fait de la musique dans les bars dès l’âge de 19 ans. Brice Bottin est quant à lui Français, mais se passionne pour la musique marocaine depuis 2014 cumulant les aller-retours entre ce pays et la maison. Les deux artistes se sont rencontrés il y a 6 ans lors d’une résidence de création à Marrakech où la musique gnawa, qui est en quelque sorte le blues marocain était à l’honneur.
‘’On a tout de suite voulu créer un groupe rock, mais on voulait remplacer la basse par le gambri et la guitare électrique par le awicha’’, annonce Brice.
Ces deux instruments traditionnels ont cependant dû être modernisés pour pouvoir être électrifiés. ‘’À l’origine, ce sont des instruments roots faits avec des peaux de chameau, des boyaux et des bouts de bois, ce n’est pas toujours fiable sur scène!’’, explique le guitariste. Il ajoute que la contrainte de jouer avec seulement trois notes assure le maintien de la sonorité arabisante dans les pièces du groupe. ‘’C’est cette limitation qui nous pousse à essayer de trouver d’autres ouvertures, de mixer des techniques et les influences’’.
Le résultat est un rock aux accents arabes très dansant et d’une certaine manière, hypnotisant. C’est l’effet de la répétition et des arrangements très proches du rock psychédélique, une autre inspiration du groupe. La répétition vient aussi du blues, mais pas tant le blues américain tel qu’on le connaît.
Le Bluz dans le nom du groupe fait plus référence au blues africain. Cette musique existe depuis très longtemps sur ce continent. Elle s’est développée partout sous différents noms selon les pays : gnawa au Maroc, diwane en Algérie, stambeli en Tunisie. Ces musiques se jouent toutes avec des instruments différents, mais partout elles ont en commun de raconter des histoires à la première personne et de miser sur la répétition. Si on retrouve ce style en Amérique, c’est qu’il a été transporté par les esclaves qui ont quitté l'Afrique. “C’est pour ça qu’on retrouve cette similarité dans les deux continents. Et c’est ça qui nous passionne en fait!’, lance Yousra.
Dénoncer par la poésie
Les textes de Yousra, eux, s’éloignent du blues américain. D’abord, ils sont écrits en Darija, un dialecte arabe qu’elle chante de façon traditionnelle. Puis, les thèmes sont moins autour de la complainte que sur la dénonciation du racisme et la promotion de l’inclusion. “Ce qu’on essaie d’exprimer le plus c’est que le fait qu’on soit tous différents n’empêche pas qu’on s’aime et qu’on se respecte. Parce que c’est le plus grand problème de notre époque. Il y a du racisme partout pourtant, on est fait pour se rencontrer et échanger. Pas pour avoir peur de l’autre,” dit Yousra.
La condition de la femme est aussi une préoccupation pour la Marocaine qui s’explique mal comment les pays laïques peuvent être encore aux prises avec des comportements et même des discours misogynes. “Je me dis qu'à la limite, au Maroc y’a ce côté traditionnel qui enferme un peu certaines personnes. Mais ici (en France) il n’y a pas d'arguments pour maintenir les inégalités. Alors je ne vois pas pourquoi il y a encore des femmes qui gagnent moins que les hommes pour le même travail. Je ne vois pas pourquoi les femmes, encore aujourd’hui, sont deux fois plus jugées qu’un homme.”
Bien sûr, la situation est toujours complexe au Maroc. Il y a encore des interdits pour les femmes qui sont liés non pas à la religion, mais à l’interprétation qu’on en fait. “Il y a beaucoup de tabous, beaucoup de choses qui sont mal vues ou non permises. C’est ce qui fait que c’est toujours difficile pour une femme d’être libre de vivre comme elle le veut au Maroc. C’est encore difficile, mais ça va beaucoup mieux.”
Selon elle, les réseaux sociaux permettent de s’ouvrir sur le monde et donc de confronter les traditions. Certaines traditions doivent être conservées, car elles sont bonnes. Mais il y en a d’autres qui sont mauvaises, dit Yousra en réaffirmant son désir de transmettre l'héritage musicale de son pays. Car c’est l’accès au reste du monde et le métissage qui ouvrent l’esprit.
C’est dans cet élan d’ouverture que Bab L’Bluz arrive au Québec pour une première tournée. “On ne connaît pas la culture québécoise, on a très hâte de découvrir la nourriture, les paysages et la musique bien sûr!”, complète Brice.
Bab L’Bluz montera sur scène à Rivière-du-Loup le 17 novembre, à Rimouski le 18 et à Carleton-sur-Mer le 19. Le groupe sera ensuite à Baie-Comeau le 24 et aux Îles-de-la-Madeleine le 26 novembre.
Cette première tournée québécoise exclusive est le fruit de la collaboration entre le ROSEQ, Tartine Production et Ruel Tourneur. L’accueil de ce spectacle franco-marocain est rendu possible grâce au soutien du Conseil des arts et des lettres du Québec.